14 décembre 1867
Qu’il nous suffise de constater sommairement le résultat de ce terrible accident.
Vingt hommes valides sortirent du puits, trente autres furent extraits respirant encore et puis … on retira cinquante-sept cadavres !...
Cinquante-sept cadavres !... Est-ce-tout ? Non, on suppose qu’il en reste encore trente-quatre dans les galeries bouclées par les éboulements… Nous nous sommes trouvés dans vingt incendies, nous avons vu d’épouvantables inondations, mais jamais spectacle plus navrant que celui dont nous avons à vous entretenir ne s’est offert à nos yeux. Des voitures de cercueil ébauchés à la hâte se dirigent en file sur l’hospice. Là, des cadavres sont alignés… Les uns sont noircis comme s’ils eussent été frappés de la foudre, d’autres ont la face d’un rouge écarlate et conservent encore la couleur de la flamme qui les a rongés.
Et puis, l’hospice n’étant pas assez vaste pour contenir tant de douleurs, une école voisine lui sert de succursale ! Les malheureux qui gisent là sont affreux, leur corps est une boursoufflure, leurs mains disparaissent dans le coton qui maintient les lambeaux de chair brûlée, leur visage est calciné, mais ils vivent et les sœurs de St-Vincent-de-Paul sont à leurs chevets. Ces sœurs, froides comme le devoir, impassibles devant la mort, soulagent tous ces pauvres êtres ou prient pour les autres… les autres, c’est-à-dire ceux qui ne sont plus.
Ce spectacle est affreux, nous le répétons, mais ce n’est rien encore. Toutes ces familles éplorées, cherchant à reconnaitre au milieu des cadavres défigurés, un père, un fils, un frère ; ces cris de douleurs, ces cris de désespoir, tout cela est inénarrable. Une jeune femme vient réclamer son époux, elle est veuve, et quinze jours se sont écoulés depuis son mariage. Une autre, dans un état de grossesse avancée, apprenant que le grisou vient de tuer son mari, met au monde son cinquième enfant, orphelin avant de naitre. Plus loin, deux femmes se disputent un cadavre, la mort l’a tellement rendu méconnaissable qu’on ne sait à qui le rendre !...