Un arbre en Lozère ... et ailleurs

Semaine 29 : Le laboureur et ses enfants

Le 17/07/2022 0

Dans La Lozère

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, 
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins...

Cette histoire se passe dans la première moitié du 18ème siècle. Guillaume Boulet, laboureur du village de Drigas, sur le Causse Méjean, reçoit des mains de sa tante Marguerite, dont il est le donataire, le testament de son grand-père, décédé dix ans auparavant. Riche laboureur, je n'en sais rien, mais les histoires d'argent n'ont jamais amélioré les relations familiales, et là, on en a un bel exemple !

La famille en cause

Les héritiers de Pierre Boulet par Emmanuelle Déchamps

Le patriarche : Pierre Boulet (1631-1721)

Signature Pierre Boulet (1631-1721)

Né à Anilhac, il est arrivé à Drigas par son mariage avec Marie Viala, soeur du curé de Hures. Laboureur, ménager et collecteur de la taille pour sa paroisse, il faisait partie des notables du village et devait jouir d'une certaine aisance. Sur le compoix de 1695, son foyer est décrit en ces termes : " Médian : Pierre Boulet ménager a un fils et deux filles, son beau-fils et un berger Antoine Boulet". Dans un village où la plupart des foyers avait un niveau de vie qualifié de pauvre ou fort pauvre, un niveau de vie médian était preuve d'une certaine richesse.

Pierre avait trois enfants en vie lors de son décès : Marguerite, l'ainée, née vers 1665, Pierre, né vers 1673 et Marie, née vers 1674.

La fille ainée : Marguerite (1665-1759)

Marguerite Boulet n'a pas eu de chance. Mariée deux fois, aucun de ses mariage n'a donné d'enfant vivant.

Son premier contrat de mariage a été conclu le 28 octobre 1686 devant Jacques Combemale, notaire royal de Fraissinet de Fourques. Elle épouse Jean MICHEL du Veygalier et est dotée par ses parents de la moitié de leurs biens. Ceux-ci ne sont pas chiffrés dans le contrat de mariage mais sa mère lui donne en plus la somme de 500 livres et Guillaume Viala, son oncle curé, 200 livres. Jean Michel a du décédé rapidement car Marguerite se remarie en 1689.

Son second contrat est établi le 10 février 1689 devant Pierre Michel, notaire royal de Meyrueis. Elle épouse Antoine Ruas, originaire de Pellalergues paroisse de Veyreau. Ses parents lui confirment la donation de la moitié de leurs biens. Sa mère rajoute même la somme de 300 livres.

Ce second mariage est resté lui aussi sans enfants. Marguerite teste donc après la mort de son second époux en 1729, en faveur de son neveu Guillaume Boulet.

 

L'unique garçon : Pierre (1673-1731)

Leur unique fils, Pierre, était maitre bâtier. Installé lui aussi à Drigas, il avait épousé en 1696 Jeanne VALGALIER de Nivoliers. Dans le contrat de mariage, établi le 3 mars 1696 devant Jean Carnac, notaire royal de Meyrueis, les parents de Pierre sont absents mais ne s'opposent pas au mariage. N'y figure aucune mention de donation à leur fils. Pierre est décédé accidentellement à l'âge de 58 ans en 1731, dans la côte de Costeguison, certainement en revenant de Meyrueis. Il n'avait pas fait de testament. Pierre et Jeanne avaient trois enfants vivants en 1731:

  • Jean, cardeur de laine, époux d'Anne Feynerol, vivait alors à la Malène.
  • Guillaume, laboureur à Drigas, avait épousé Jeanne Fages de Carnac en janvier 1731.
  • Antoine, également laboureur à Drigas, était depuis 1730 l'époux de Marianne Lapeyre du même village.

La fille cadette : Marie

Marie a épousé en 1697 Antoine GRALHE, originaire de Revens dans le Gard. Le couple s'est installé dans le hameau de Malautié, sur la paroisse de Lanuéjols sur le Causse Noir. J'ai trouvé trace de la naissance de 6 de leurs enfants dans ce hameau. Deux d'entre-eux sont concernés par les évènements dont on va parler :

  • Marie, née en 1698
  • Pierre, né en 1701

Le testament en cause et sa transcription

Le 28 mai 1731, Guillaume Boulet se présente à Meyrueis dans l'étude de François Michel. Jeune marié depuis le mois de janvier, il a perdu son père en février. Sa tante Marguerite, dont il est l'héritier, vient de retrouver dans ses vieux papiers le testament de Pierre Boulet, leur père et grand-père. Dans ce testament sont nommés, outre lui et sa tante, son autre tante Marie épouse Gralhe, ses cousins Pierre et Marie Gralhe. Il les fait donc convoquer à l'étude pour la lecture et d'enregistrement de ce testament.

Malgré le délai supplémentaire accordé d'une heure, aucun ne s'est présenté, pourquoi ? Guillaume, qui par ricochet, s'est retrouvé principal héritier de son grand-père, a-t-il également récupéré les legs de ses frères et cousins ?

Testament Pierre Boulet page 1 Testament Pierre Boulet page 2 Testament Pierre Boulet page 3

L’an mil-sept-cent-trente-un et le vingt-huitième jour du mois de mai, à dix heures du matin devant nous notaire royal soussigné et en la présence des témoins bas nommés, a comparu Guilhaume Boulet laboureur du village de Drigas paroisse d’Ure donataire de Margueritte Boulet sa tante veuve d’Antoine Ruas icelle fille de Pierre Boulet dudit Drigas, qui nous a dit que le vingt-huitième mars mil-sept-cent-douze, ledit Pierre Boulet aurait fait un testament olographe, contenant sa dernière disposition, qu’il fit écrire par un de ses amis et qu’il signa au bas de chaque page, par lequel ladite Margueritte Boulet sa fille est instituée héritière générale de tous ses biens, et comme ladite Boulet en lui faisant donation de la plus grande partie de ses biens, en faveur de sondit mariage avec Jeanne Fages, lui remis ledit testament et le chargea de le faire enregistrer et le faire enregistrer dans nos registres, ledit Boulet aurait en conséquence fait assigner par exploit du vingt-cinq du courant signé par quarante … par devant nous à ce présent jour lieu et heure Antoine Graille et Marie Boulet mariés habitant au lieu de Lanuéjols, iceux gendre et fille dudit Pierre Boulet, et en leurs personnes Pierre et Marie Graille leurs enfants, ensemble aurait aussi fait assigner Jean et Antoine Boulet ses frères fils de feu Pierre Boulet bastier et celui-ci de feu Pierre Boulet testateur, habitant savoir ledit Jean au lieu de la Malène et ledit Antoine audit lieu de Drigas, qui sont les seuls proches parents dudit Pierre Boulet premier, à l’effet de voir par nous procéder dans nos notes à l’enregistrement dudit testament, et examiner pour un préalable icelui pour voir s’il a été en rien altéré et si les seings qu’il y a déposés sont ceux dudit Pierre Boulet premier pour qu’ensuite ledit testament eut force d’acte public et que les intéressés en icelui puissent s’en servir et y avoir recours en cas de besoin, nous requérant ledit Guilhaume Boulet, attendu que l’heure de dix du matin portée par ledit exploit est échue et quantum des assignés n’est présenté, de leur donner défaut et pour l’utilité d’insérer dans notre registre ledit testament, après l’avoir vu et examiné et dressé procès-verbal de son état, auquel effet ledit Boulet nous a remis ledit testament, ensemble ledit exploit d’assignation, de laquelle remise, aussi bien que de son dire et réquisition, nous dit notaire avons donné acte audit Boulet, et déclaré qu’il sera sursis pendant une heure à l’examen et enregistrement dudit testament, pour voir si les assignés se présenteront pour l’examen eux-mêmes y assister et être présents, et l’heure de la surséance ayant fini celle de onze ayant sonné sans que lesdits Graille et Boulets tante et neveux se soit présentés, ledit Guilhaume Boulet nous aurait de nouveau requis de donner défaut auxdits Graille et Boulets, et tout de suite procéder à l’examen vérification et enregistrement dudit testament, à laquelle réquisition nous dit notaire ayant égard, avons en y faisant droit octroyé acte audit Boulet de ses comparutions dires et réquisitions, et donne défaut contre lesdits Antoine Graille et Marie Boulet mariés, et contre lesdits Jean et Antoine Boulets ses frères, assignés et non comparants pour l’utilité duquel, avons à l’instant en présence dudit Boulet et des témoins bas nommés, procédé à l’examen et vérification dudit testament, que nous avons trouvé, non cousu cacheté, ni souscrit devant notaire, couché et écrit sur une feuille papier timbré de celles qu’on vend à présent vingt denier, écrit d’une même main sans aucune altération, ni autres ratures dans les deux pages qu’il contient que celles des mots, me … aux ap. voulant, qui ne sont pas essentielles et qui ne marquent aucune altération, lesdites ratures ayant été faites par celui qui écrivit ledit testament au bas desquelles deux pages, avons trouvé savoir au bas de la première Boulet testateur signé, et au bas de la seconde Boulet testateur aussi signé, où il a écrit à suite, écrit d’autre main et signé de la même, et ladite vérification ainsi faite avons en présence des susnommés dans le même instant procédé mot à mot à l’enregistrement dudit testament qui est de teneur :

« l’an mil-sept-cent-douze et le vingt-huitième jour du mois de mars, régnant très chrétien prince Louis quatorze du nom roi de France et de Navarre, je Pierre Boulet habitant du lieu de Drigas paroisse d’Ure au diocèse de Mende, sachant qu’il n’y a rien de plus certain que la mort, et voulant la prévenir par une disposition, l’ai fait en la manière suivante, premièrement j’ai recommandé mon âme à Dieu, le suppliant par les mérites de notre seigneur Jésus Christ de me faire miséricorde, et vouloir recevoir mon âme dans sa gloire quand elle sera séparée du corps, élisant pour ma sépulture le cimetière de la paroisse et dans le tombeau de mes ancêtres et mes honneurs aux frais de mon héritière, et venant à la disposition de mes biens, je lègue aux pauvres de ladite paroisse trois setiers de bled mescle pour être distribués en pain, savoir huit cartes le jour de la neuvaine, huit cartes à la demi-année, et le huit cartes restantes au bout de l’année, et avec ce les fait mes héritiers particuliers, item je donne à Pierre Boulet mon fils pour tout ce qu’il peut prétendre sur mes biens, outre ce qu’il a déjà reçu, la somme de soixante livres, payable un an après mon décès, item je donne et lègue à Pierre, Jean, Guilhaume, et Antoine Boulets mes petits-fils, enfants de Pierre Boulet à chacun d’eux la somme de dix livres payable par mon héritière lors qu’ils seront en âge d’apprendre un métier ou quand ils auront atteint l’âge de vingt-cinq ans item je donne à Pierre Graille mon petit-fils la somme de dix livres, payable un an après mon décès, item je donne à Marie Graille ma petite-fille la somme de dix livres payable un an après mon décès, et à tous mes autres parents prétendant droit sur mes biens je donne et lègue cinq sols à diviser entre eux, et en tous mes autres biens noms voix et actions en quoi qu’ils consistent ou puissent consister, j’ai nommé et institué pour mon héritière universelle et générale Margueritte Boulet ma fille femme de Antoine Ruas, cassant et révoquant tous autres testaments que je pourrais avoir faits ci-devant voulant que celui-ci seul vaille par testament donation à cause de mort, et autre meilleure forme que de droit pourra valoir, fait au lieu de Drigas dans ma maison d’habitation les jours et ans susdits et me suis signé au bas de chacune des deux pages qui contiennent le présent testament. »

Boulet testateur écrit d’autre main et signé de la même, laquelle minute de testament demeurera ici annexée pour y recourir en cas de besoin, duquel présent enregistrement ledit Guilhaume Boulet nous a demandé acte, que nous dit notaire après lui avoir remis et délivré le susdit exploit d’assignation lui avons octroyé, fait et enregistré à la ville de Meyrueis à notre étude présents sieur Jean Noé bourgeois, et maître Pierre Michel avocat dudit Meyrueis signés avec ledit Boulet et nous François Michel notaire royal réservé de ladite ville de Meyrueis requis et soussigné.

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