Ce jour-là, c'est le Cyprien, de la Caze, qu'il fallait emmener là-haut, dans sa boite de chêne.
Cyprien faisait bon poids : deux quintaux d'os et de sang. Ajoutez-y le bois, il nous fallait quatre gaillards pour mener l'affaire à bien jusqu'en haut de la roche.
Dans la parentèle, on choisit les quatre hommes les plus larges ; de ceux qui, les après-midi du dimanche, soulèvent des essieux de char devant les amis ébahis ; de ceux qui, au moulin ou à la batteuse, déchargent et transportent des sacs de grains de plus de cinquante kilos comme ballots de laine.
Par les quatre coins de la boite, ils soulèvent le Cyprien ; et la procession démarra au signal de la clochette qu'agitait comme un diable en robe rouge l'enfant de chœur.
Premier lacet. Ça pèse, on commence à suer sous le chapeau mais on y va.
Deuxième lacet. Les pierres du chemin roulent et l'on risque de se casser une cheville si l'on n'y fait attention ; les poignées du cercueil entrent dans la paume des mains mais on ne lâchera pas. Les quatre hommes deviennent tout rouge et leur pantalon se trouve étroit à la ceinture.
Troisième lacet. L'un des porteurs souffle comme un bœuf. Irons-nous jusqu'au bout ? C'est ce que se demandent les trois autres.
Quatrième lacet. Le porteur défaillant lâche ; les trois autres ne peuvent retenir et le cercueil abandonné à son poids et à la pente entreprend de dévaler l'abrupt. Horrifiée, la foule le voit bondir sur le chemin comme pris de folie. Les rochers rencontrés dans la course se renvoient la caisse de l'un à l'autre avec des claquements que les falaises de la gorge répercutent et amplifient, une musique pour danse macabre.
Dans la foule horrifiée, c'est le tumulte, la bousculade vers le bas pour fuir la pente. Dans sa course infernale, le cercueil vient de faucher deux pauvres femmes, que le choc violent entraine vers le bas, vers l'issue fatale que personne ne peut empêcher.
(Roger Lagrave)