Un arbre en Lozère ... et ailleurs

Semaine 20 : Retour sur Émile Aigouy

Le 15/05/2022 0

Dans La Lozère

Certains d'entre vous ont peut-être lu l'article déjà consacré à Émile Aigouy, le frère d'Armand del Fabre, donc lui aussi un cousin germain de mon grand-père. Cet article avait été publié à l'occasion du Challenge AZ 2021. J'ai retrouvé quelques documents sur les centres de détention dans lesquels Émile a été interné, et notamment le récit de l'évasion du centre de Lübeck par le "tunnel de l'infirmerie".
Cela donne matière à cette nouvelle publication.

Le parcours de prisonnier d'Émile Aigouy

A la lumière de cette frise chronologie, on découvre le parcours d'Emile, fait prisonnier le 26 juin 1940, il est transféré tout d'abord à la citadelle de Mayence (OFLAG XII B). Quelques mois plus tad, on le trouve à Limbourg (STALAG XII A) où il restera jusqu'en mars 1942.

Jusqu'en septembre 1943, il rejoint le camp de prisonniers de Colditz (OFLAG IV C) dont j'ai déjà parlé dans le premier article. Puis, certainement à cause d'une tentative d'évasion, il est transféré à Lübeck (OFLAG X C)

Registre des prisonniers de Lübeck ou l'évasion ratée d'Émile

En regardant la liste des prisonniers, deux noms sont à souligner :

Émile Aigouy, évadé le 3 décembre 1943
Léon Fallon, évadé le 27 avril 1944

Il s'agissait en réalité d'une supercherie ...

L'après-midi du 3 décembre 1943, un dense brouillard s'abat sur le terrain de jeu où quelques prisonniers s'échauffent en se faisant quelques passes de ballon. Soudain, tout s'efface, tout est noyé dans le coton, les bruits s'amenuisent et les miradors disparaissent. Aussitôt, les huit copains, à l'impromptu et sans s'y être préparés, escaladent les poteaux qui soutiennent les barbelés et se retrouvent libres. Parmi eux, bien entendu, Émile Aigouy. Trois d'entre eux : Léon Fallon, Robert Carer et Georges Botet, échapperont aux recherches et réussissent à rejoindre la France. Les autres, dont notre héros, sont repris.

Et c'est de retour au camp, qu'Émile, ayant perdu ses papiers et s'assurant que Fallon n'avait pas été repris, décline au culot son identité : "Lieutenant Léon Fallon matricule 3995 de la B7".

Pourquoi ?

Émile n'en était pas à sa première tentative d'évasion, mais à sa troisième. Déjà passé en conseil de guerre en novembre 1943, il avait écopé d'une peine d'un an de prison qu'il attendait de purger. Une autre tentative aurait été bien plus sévèrement punie. Par contre, Léon Fallon n'en était qu'à sa première tentative. La punition fut plus légère : quelques semaines au cachot et notre Émile Aigouy-Fallon reprend sa place incognito parmi ses copains qui, évidemment, jouent le jeu.

Comment le sait-on ?

Le frère d'Émile, Armand del Fabre, était interné au Stalag XI A. Son meilleur ami, Louis Caubel, également. Sans nouvelles de son frère depuis début décembre 1943, il voit son ami Louis recevoir une lettre en février 1944. Cette lettre, écrite de la main d'Émile, est sous la couverture suivante : "Lieutenant Léon Fallon, n°3996, Oflag XC adressée à Caubel-Fallon, n°9376, Stalag XI A"

Evidemment, le nom d'Aigouy ne devait pas apparaitre dans la correspondance, la référence à un soi-disant évadé était trop dangereuse. Les nouvelles se sont ainsi transmises entre les deux frères jusqu'en avril 1944.

Le tunnel de l'infirmerie

Le tunnel de l'infirmerie, commencé en novembre 1943 sous la direction d'Edouard Debats, permit, le 24 avril 1944, dix évasions dont quatre avec succès. Voici le récit d'un des évadés, le Colonel Jacques Vandaele :

Je ne ferai qu'évoquer le long et pénible travail qui, dans ce camp de Lübeck, nous imposa pendant huit mois une existence de forçat et qui aboutit au "souterrain de l'infirmerie". Nous n'avons pu le mener à son terme, qu'en acceptant une "sortie risquée", à une quinzaine de mètres du réseau éclairé en permanence et surveillé par deux sentinelles, dans un champ en pente douce dominé par deux miradors.
Cela exigeait une stricte discipline : ramper, sur une centaine de mètres, jusqu'à un ruisseau en contre-bas, s'immobiliser dès la mise en oeuvre des projecteurs, ne se lever pour s'enfuir qu'en cas d'intervention des sentinelles. Le départ était prévu pour le mercredi 26 avril 1944, après l'appel du soir. A 22h30, je gagne l'étouffant boyau où sont déjà allongés ceux qui me précèdent. L'attente est longue, nous respirons difficilement, enfin une bouffée d'air frais, la percée est faite. Sous une toile camouflée, au fond de son trou, Edouard observe les allées et venues des sentinelles.
A 3h30, il me donne le signal de départ. La nuit me parait bien claire. Je rampe lentement, m'applatissant le plus possible, m'arrêtant dès que se rapproche le faisceau lumineux ou le Posten que j'entends faire les cent pas. Je progresse, quand doudain derrière moi : "Halt", des cris, un coup de feu puis d'autres, la valse des projecteurs qui balaient le terrain, la course des sentinelles. Je suis tout près du ruisseau, j'y plonge et, pataugeant dans la vase, je file. Lussus et Girod qui suivaient sont repris et remis à la Gestapo qui va les assassiner. Des sept qui me précédaient, quatre d'entre eux : Thibeaudin, Lejeune, Jorna, Aigouy, vraisemblablement repris, ont disparu à jamais.
Quant à Edouard Debats et au neuf autres candidats à l'évasion, profitant de la panique des gardiens, ils purent ressortir du tunnel, quitter l'infirmerie et rejoindre leurs baraques sans être suspectés.

 

Bilan de l'évasion, sur les dix sortis :

2 repris hors du tunnel et tués par la Gestapo
Michel Girod
Albert Lussus

4 disparus
Emile Aigouy
Léon Jorna
André Lejeune
Charles Thibaudin

4 succès
Jacques Vandaele
Henri Thomas
Jacques Pingeot
Henri Desjobert

Émile a été déclaré mort en déportation à Buckenwald le 30 mai 1944 (Enquète 1951 du Ministère des Anciens Combattants)

"Ta joie fut brève ma pauvre maman,
De tes fils, il n'en revint qu'un : Armand !"

                                              (Armand del Fabre)

Sources

  • "Jamais ne désespère", Anecdotes de captivité militaire en Allemagne, racontées par Henri DECARD et illustrées par Jean REMY, officiers de réserve à l'Armée Belge, 1951, Librairie Parchim, Bruxelles
  • "Mes évasions", Discours de réception à l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, par le Colonel Jacques Vandaele, 4 avril 1981.
  • "Colditz, le grand refus", Albert Maloire, Editions le Condor 1982.
Dans La Lozère

E comme "Le pauvre Emile"

Le 05/11/2021

Lorsque j'étais enfant et que nous rendions visite à "la cousine", Marie Aigouy, à la Volpilière, elle ne manquait pas de nous parler avec beaucoup de tristesse de son frère cadet, Emile (que j'ai toujours entendu appelé "le pauvre Emile") décédé en 1944 en déportation. Voici son histoire.

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