Une fille-mère, Catherine Joséphine Michel, sosa 149

Le 23/02/2025 0

Dans Les Normands

"Ma taille grossit et je suis en retard ... " Cet été 1824, Catherine Joséphine Michel doit se rendre à l'évidence. Elle est enceinte !

"Alors commença pour elle une vie de torture continuelle. Elle travaillait comme une machine, sans s’occuper de ce qu’elle faisait, avec cette idée fixe en tête : « Si on le savait ! »
Cette obsession constante la rendait tellement incapable de raisonner qu’elle ne cherchait même pas les moyens d’éviter ce scandale qu’elle sentait venir, se rapprochant chaque jour, irréparable, et sûr comme la mort."

Guy de Maupassant, « Histoire d’une fille de ferme », dans Contes et nouvelles, Louis Forestier (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1974, p. 230.

Catherine "Joséphine" était pourtant née sous la protection d'un bon ange. Une jumelle arrivée à l'âge adulte ainsi que son frère jumeau, c'était tellement rare pour l'époque !

Mais reprenons depuis le début. Les parents de Joséphine se nommaient Romain Nicolas Michel et Marie-Louise Catherine Delaunay. Cultivateurs dans le village de Mesnil-Follemprise, dans le pays de Bray, ils étaient mariés depuis 1789 et parents d'une jeune Marie-Catherine, née quelques mois après leur mariage.

Le 17 mars 1800, soit plus de 10 ans après, la maman met au monde des jumeaux, garçon et fille, prénommés Pierre Patrice et Catherine Joséphine.

Jumeaux

Elle a presque 40 ans et n'aura pas d'autre enfant par la suite. La famille habite alors Pierreval, au nord-est de Rouen.

Img 5

Nous voici maintenant à Pierreval ce fameux été 1824. Joséphine et son frère ont 23 ans, leur soeur ainée Catherine a 35 ans et n'est toujours pas mariée. Tout ce petit monde vit pauvrement chez les parents, toujours de ce monde mais qui commencent à prendre de l'âge. Les deux jumeaux sont journaliers certainement dans les environs et sont peut-être les seuls à pourvoir à l'entretien de la famille.

Joséphine a-t-elle été mise enceinte par un patron abusif ? Est-elle tombée amoureuse d'un beau parleur qui sera parti en courant à l'annonce de la grossesse ?

A cette époque, la société est très dure pour les "filles-mères". L'article 340 du code Napoléon pose l’interdiction de la recherche en paternité, avec une seule exception, celle de l’enlèvement, auquel le viol est assimilé. En pratique, si une femme a un enfant hors mariage, et qu’elle a été victime d’un enlèvement au moment présumé de la conception, on considère que le violeur est le père, alors que, dans tous les autres cas, la femme qui a un enfant sans être mariée est réputée l’avoir seule. De plus, l'article 317 du Code pénal de 1810 punit de prison toute tentative d'avortement. Ces pauvres filles étaient souvent contraintes à abandonner leurs enfants, étaient jugées, salies et montrées du doigt. Le déshonneur rejaillissait également sur la famille élargie, et c'était une chance si elles n'étaient pas jetées à la rue, renvoyées de leur foyer et de leur emploi.

Ce ne fut pas le cas de Joséphine. Elle accoucha le 24 janvier 1825 d'un petit garçon prénommé Pierre Adolphe. Il fut déclaré en mairie par son grand-père Romain Nicolas. Les témoins étaient son oncle Pierre Patrice et un domestique du village Louis Désiré Mouquet âgé de 43 ans.

Pierre adolphe 1825On remarque en passant que les deux Michel, père et fils, signaient leur nom. Par contre Joséphine ne savait ni lire, ni écrire.

Mais cette naissance n'était que le début d'une série de ... cinq.

Deux ans après la naissance de Pierre Adolphe naquit Joséphine Pauline, le 23 mars 1827. La petite fille a été également déclarée par son oncle (son grand-père est décédé en 1826), en présence de Louis Désiré Mouquet (encore !) et de Jacques Buvestre, le boulanger du village.

Le 31 juillet 1829, c'est la naissance d'une autre petite fille, cette fois prénommée Catherine Joséphine comme sa mère. Elle est née "de Joséphine Michel domiciliée en cette commune chez sa mère, fille non mariée de feu Nicolas Michel et Marie Louise Delaunai". La déclaration est faite par la sage-femme présente à l'accouchement en présence du boulanger et de Jean Guillonnet charretier de 37 ans.

Deux garçons vinrent continuer la série :

  • Justin le 5 avril 1837, déclaré par la sage-femme en présence d'Augustin Chevalier, rentier de 61 ans et d'Augustin Mouquet âgé de 49 ans.
  • Eugène, sosa 74, le 4 avril 1840. Augustin Mouquet est toujours présent lors de la déclaration.

Quelle vie a-t-elle menée ?

Il est difficile de trouver des renseignements précis. Nous pouvons la retrouver sur les recensements de la population de Pierreval à partir de 1841 et lors d'évènements concernant ses enfants.

  • En 1841, Joséphine est recensée chez sa soeur Catherine, toujours célibaire et considérée comme chef de ménage. Elle y figure avec quatre de ses enfants : Pierre Adolphe, Catherine Joséphine, Justin et Eugène. Nous n'entendrons plus jamais parler de la petite Joséphine Pauline, certainenement décédée en bas-âge, même si je ne retrouve pas son acte de décès. Joséphine et sa soeur vivent donc seules, sans homme. Leur frère est décédé en 1828 et leur mère en 1837.
  • En 1851, les deux soeurs habitent toujours ensemble à Pierreval avec les deux plus jeunes enfants, Justin et Eugène. C'est cette fois-ci Joséphine qui est considérée comme chef de ménage. Sa soeur Catherine, alors âgée de 61 ans, est très certainement indigente. Il est noté qu'elle est "soutenue par la commune". 
  • En 1852, le 16 novembre, Pierre Adolphe, l'ainé, se marie et s'installe avec sa femme à Bierville. Joséphine est présente lors du mariage. Le jeune couple recueille alors la tante Catherine qui décède chez eux en 1858.
  • Le 8 novembre 1859, c'est au tour de la jeune Catherine Joséphine de se marier. Elle épouse un cultivateur de Bosc-Bordel nommé Narcisse Modeste Honoré.
  • Le recensement de 1861 trouve notre Joséphine habitant seule à Pierreval chez une veuve, rentière de 73 ans, qui vit avec son fils.
  • Notre ancêtre Eugène se marie en 1864 et son frère Justin en 1865. Joséphine est également présente lors du mariage de ses deux garçons. Elle n'habite plus Pierreval mais Bierville, chez son fils ainé et sa bru.

Notre Joséphine est maintenant une vieille femme pour l'époque. Elle décède le 7 décembre 1869 à l'âge de 69 ans à Bosc Bordel chez sa fille. Je ne sais pas si sa vie fut heureuse, elle a été certainement dure et laborieuse. Il est intéressant de voir que ses trois garçons avaient appris à écrire et signer leur nom, preuve d'une éducation élémentaire. Ses grossesses illégitimes ne l'ont pas exclue de sa famille, elle a toujours vécu chez ses parents, avec son frère et sa soeur, et était fièrement présente à chacun des mariages de ses quatre enfants adultes.

1 vote. Moyenne 5 sur 5.

Ajouter un commentaire

Anti-spam