Un jour, par un temps frisquet, nous étions tous les trois un peu désoeuvrés : Elie, le chef de la bande, Paul et moi. Nous nous sommes amusés tout un moment autour de la forge du père, puis nous avons pris le large plus loin, dans la côte d'Aumières, le Far Ouest pour nous autres. Sur le flanc du côteau où tournait le moulin à vent, broutait le troupeau de brebis de Louis, le berger. Un peu plus loin, sur l'autre versant, on était en plein dans son terrain de chasse aux oiseaux. Dans les buissons de genévriers un peu caché, se voyait une tendelle méticuleusement montée pour attraper la grive. Quatre bâtons disposés en croix, et par-dessus une lauze en équilibre : voici le piège qui surprendra l'oiseau affamé qui viendra picorer les grains de genièvre à ses dépens. Louis s'était donné beaucoup de mal pour monter toutes ces tendelles, tant de mal que nous autres nous en donnèrent à coeur joie pour les desquiller les unes après les autres. Notre petit jeu était de les déclencher en jetant des pommes de pin ou des cailloux sur le trébuchet. [...] Bien tranquilles, nous sommes retournés au village, comme si de rien n'était, bien persuadés qu'un bon berger ne quittait jamais son troupeau.
Et là, Louis nous attendait, et aussitôt nous ramena sur les lieux de nos bêtises. Elie, genoux en terre, dut remonter toutes les tendelles. Si l'une ou l'autre se trouvait montée de travers, ou de manière maladroite, pan ! le berger l'applatissait d'un coup de son bâton : "Tu peux recommencer, gamin !"
Dans cette affaire, Elie avait été un peu bousculé, nous moins. Heureusement, personne n'en a rien su à la maison, ce qui valait mieux pour nous ...