C’était un superbe chien de chasse noir et blanc. Monsieur Grousset, le sabotier, lassé de ses escapades, avait fini par le vendre au père. Le père lui, s’était bien promis de le dresser correctement, s’il en valait la peine.
Le père avait appris que ce que Flambèl craignait le plus, c’était les mouches plates, ces espèces de mouches dures et sèches qui vivent sur les chevaux et les bœufs, surtout autour du trou du cul, à l’ombre de la queue.
Le mot fut donné par mon père à ses amis et ses clients des fermes alentours. Dès qu’ils voyaient rôder autour de chez eux notre tire-savates, ils avaient comme conseil de lui mettre dans les poils quelques-unes de ces mouches plates. Ce qu’ils faisaient, ayant le double plaisir de rendre service au père et de voir détaler au triple galop notre vagabond excité par les vilaines mouches qui s’agitaient sur son ventre et ailleurs ! Cela lui arrivait bien, quelquefois, de recevoir quelques coups ou une vieille casserole attachée à la queue, mais tant bien que mal, il retrouvait le chemin de la maison, où on le délivrait des vilaines mouches.
Il avait finalement compris que son salut était là. Il entrait comme le vent dans la forge, gémissant et se roulant dans la poussière. Le père attrapait les mouches et le délivrait. Le chien montrait alors toute sa reconnaissance, et surtout se gardait bien de retourner dans les fermes, où il avait attrapé ces cochonneries.
La maman participait au changement, et nous aussi, les enfants, aimions beaucoup ce sacripant, indépendant, peu câlin mais pas méchant. Il n’y avait que les vagabonds qu’il n’aimait pas. L’un d’eux avait essayé de lui faire connaitre son bâton. Il le sentait de loin et ne le laissait pas s’approcher de la maison, et il ne s’y serait pas hasardé à moins d’y être invité par le patron lui-même.
Sa vie aventureuse lui avait appris à gagner sa croute tout seul ; tout rusé qu’il était, il n’avait pas besoin de conseils pour filer à quelques bons postes pour surprendre à son profit lièvre ou lapin. Il lui arrivait même de le faire quand il était à la chasse avec le père : il menait ses propres affaires comme il le voulait. Le chasseur était déjà rentré à la maison qu’il était encore en train de courir dans les sapins ou sur le causse pelé. Il rentrait à son heure, sans faire de bruit, les oreilles basses et la plupart du temps la truffe pleine de sang, montrant qu’il avait pris son repas.
- Mais comment as-tu fait pour l’apprivoiser ? demandaient souvent à mon père ses amis.
- A la maison il y a ce qu’il faut, et pour manger il ne manque de rien.
Une fois par exemple, quand j’étais encore là, avant de partir à la pension, je fus chargé de lui préparer sa soupe. Après moi, ce fut ma sœur qui s’en chargeait. Mais aux premières vacances, à l’heure habituelle, Flambèl venait mettre sa tête sur mes genoux et me réclamait sa pitance. Et personne d’autre ne pouvait le lui donner. J’étais fier, et je pouvais l’être, de cette préférence. Ainsi, pendant tous mes congés, l’ami Flambèl était nourri par mes soins.
Que de lièvres ont pris le chemin de la maison avec Flambèl ou les autres bâtards poilus qui prirent ses bonnes habitudes !
- Mais comment faites-vous pour attraper tant de gibier avec des chiens si laids ? demandait le maire, Mr Pierre Aragon.
- Voyez-vous, Pierre, c’est que nous nous ressemblons, eux et moi ! lui répondait mon père tout en buvant un verre de vin avec lui, alors qu’il venait de ferrer une pouliche rétive.
Devenu vieux et sourd, notre pauvre Flambèl fut abattu par un voisin, sur la demande de mon père. Il ne se sentait pas le courage de le faire lui-même …