Il m’arrivait souvent le jeudi d’aller porter le courrier aux Avens. Parguel, le facteur, me donnait 40 sous pour aller faire cette tournée. J’étais très content de gagner ces 40 sous pour mon porte-monnaie et encore plus d’aller passer la journée avec la vieille Madame Fages. Cette brave femme me gâtait autant qu’elle pouvait et moi de mon côté, je lui économisais ses jambes et lui rendais toutes sortes de petits services. C’est dire que nous nous entendions bien. Et même le dimanche, à la sortie de la messe, elle me faisait faire ses commissions et ne m’appelait plus que son « commissionnaire ».
Une fois, pour aller aux Avens, je pris tout droit par un raccourci qui passait à côté de la fontaine de la Polita. Le brouillard montait de la côte de Carnac et plongeait tout dans le coton. Et moi de faire à mon tour comme la femme de Caussignac, de tourner en rond comme un imbécile. Et je me retrouvais toujours à la source de la Polita.
Heureusement, Flambèl était avec moi. Avec une ficelle que je trouvai dans ma poche, je l’attachais par le cou et me fia à lui : « Allez, cher Flambèl, tu sais bien où on va ! » Pardi, qu’il le savait ! Il m’y conduisit sans hésiter. Nous mangeâmes, et je m’excusai de ne pas m’attarder pour rentrer. Sur le retour, bien prudemment, je suivais le chemin sans le quitter d’un pas.
Un lièvre, inconscient, traversa le chemin un peu devant nous. Le Flambèl l’accompagna un peu en musique, mais renonça à son projet quand il vit le piètre chasseur qu’il avait avec lui.
« Eh bien, tu rentres bien tôt, remarqua mon père. Tu t’es fâché avec Madame Fages ? »
« Bien sûr que non, mais comme il y avait du brouillard, elle m’a fait partir plus tôt et elle m’a dit de bien suivre le chemin. »
« Et pour y aller, tu l’as bien suivi, ton chemin ? »
« Pardi ! Tu penses bien ! »
Ceci dit, pour cette fois je me risquai à mentir, pour ne pas risquer de compromettre ces sorties dont je garde encore un souvenir délicieux. Un peu plus tard, le père me dit :
« Tu ne sais pas mentir, mon pauvre Armand. C’est le chien qui t’a sorti de là. Mais toi, tu as eu peur, et tu as compris la leçon. C’est pour cela que je ne te punirais pas plus ».
« Mais ? »
« Mais comment je l’ai vu ? Et ce bout de ficelle, là, qui est encore autour du cou du chien ? Tu peux causer, petit. »
Le père et le chien étaient bien tous les deux, chacun à sa manière, deux fins limiers, dignes l’un de l’autre. Il ne leur échappait rien …