C’est le nom d’un village à quatre kilomètres de la Borie. La maman y était née. Sa sœur, devenue Mme Avesque, avait sa maison tout au bout du village. Son frère le Boulétou, diminutif de Boulet, était resté à la maison natale, en bas, un peu dans le milieu du village.
En 14-18, maman nous prenait souvent chez la tata quand elle allait lui donner un coup de main. Le tonton Eugène était revenu de la guerre en 18 pour mourir à la maison. Je ne m’en souviens pas.
Un jour où nous étions à Drigas, je disparus complètement. Il parait que le petit drôle que j’étais avait déclaré : « Je veux retourner dans ma maison ! » Et d’une manière ou d’une autre, je m’étais mis en chemin. Personne ne m’avait vu, personne ne pouvait dire où j’étais passé. Grand émoi dans le village. Tout fut passé au peigne fin, les mares et les citernes en premier, car c’est cela que l’on redoutait le plus, les paillers et les tas de bois ensuite, où les gamins savent si bien se cacher. Rien. On finit par rencontrer le fugitif sur le chemin des Avens.
Il parait que je n’étais pas beau : j’avais pleuré et bavé abondamment, cela se voyait à mon tablier.
Mais à la ferme, je faisais souvent des bêtises. Il m’arrivait de mettre les bottes du domestique, d’aller me promener avec, et de les laisser n’importe où. Un jour, en faisant la tournée des poulaillers, je ramassais les œufs et je revins les renverser dans le berceau de la petite cousine Amélie, cela fit une omelette !
Vers 1920, la tante fut bien malade. On la croyait perdue. Seuls le père et le docteur Blanc avaient gardé une lueur d’espoir. Maman était restée plus d’une semaine à son chevet pour la soigner. En retournant à la Canourgue, le docteur Blanc s’arrêtait toujours à la forge du père. Le jeudi, le père m’envoyait chercher des nouvelles. Maman écrivait sa réponse sur le même billet que le papa avait écrit pour donner des nôtres. Et puis je repartais, et même s’il faisait presque nuit, je n’avais pas peur en compagnie de Flambèl qui ne me quittait pas. La tantine fut si bien soignée qu’elle se remit sur pieds. Bien plus tard en fêtant ses 90 ans, elle me dit en riant : « Je commence une nouvelle décennie ! » Elle est décédée à 94 ans, en 1975, 37 ans après mon père.
En 1918, Eugène, l’ainé de la tante, n’avait que 14 ans, et pour acheter ou vendre le bétail, il était un peu trop jeune. La tante lui assigna deux conseillers pour mener ces opérations : Léon le forgeron de la Borie et Bouletou son autre oncle, quand il n’avait pas lui-même trop de bétail à mener sur la foire. Plus tard, ils ne l’accompagneront que pour l’achat des chevaux. On disait que le père était aussi calé qu’un vétérinaire dans la connaissance du bétail. Lui, en entendant cela, protestait bien un peu, mais pas trop fort …
En revenant des ces opérations de marchandage, Bouletou disait :
- C’est toujours pareil, mon pauvre Léon, Je vois bien que ma sœur te fait toujours marcher !
- Et toi ? répliquait le père.
- Oh, moi, elle me fait courir !
Et ils riaient tous les deux de bon cœur.
C’était un brave homme tonton Bouletou, à la mémoire extraordinaire, à l’humour fin, dépourvu de méchanceté ! Je le revois encore avec sa moustache déséquilibrée d’un côté :
- Et pourquoi ce côté plus long que l’autre ?
- Tu comprends, quand je bois, cela me permet de la tremper dans le verre, et comme cela j’ai une petite réserve quand j’ai soif…
Il était fort sensible des pieds, comme d’autres. Lorsqu’il avait mal et qu’il y avait un étranger, il se mettait à se plaindre et disait :
- Je voudrais bien être à la place d’un tel de Florac !
- Et pourquoi ? Il a un bon remède ?
- Je crois bien ! Un remède radical ! Ses jambes, il les a faites couper, ras le cul !...
A moi aussi, il m’a fait le coup, comme à beaucoup d’autres. Quand nous eûmes bien ri, il ajouta : « Il n’y a que ta tante qui l’a pris de travers. Nom de nom ! Un peu plus, je me prenais deux calottes ! »